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Paru en 1792 alors que la Révolution française battait son plein, A Vindication of the Rights of Woman, de Mary Wollstonecraft, représente un des premiers grands textes féministes de l'histoire.

Mary Wollstonecraft demeure une figure méconnue par chez nous. Elle naquit près de Londres en 1759 au sein d'une famille aisée avec laquelle elle glissera dans la pauvreté à cause des spéculations malheureuses de son père, homme alcoolique et violent.

Le futur auteur contestataire de l'ordre patriarcal cherchera à fuir la tyrannie régnant dans son foyer à la fin de son adolescence en se faisant engager comme demoiselle de compagnie auprès d'une veuve à Bath avant de remplir ce rôle au sein de la famille de sa meilleure amie, Fanny Blood. Avec cette dernière, qui devait mourir prématurément en couches, Mary Wollstonecraft nourrit l'espoir de devenir indépendante des hommes en ouvrant une pension, puis une école, en vain. Mary Wollstonecraft consacrera à Fanny Blood un premier roman, publié de façon posthume,The Wrongs of Woman, or Maria.  

Après une ultime expérience de gouvernante en Irlande, c'est en 1787, à l'âge de 28 ans, que Mary Wollstonecraft résolut de se lancer dans une carrière littéraire à Londres. Elle publia d'abord des ouvrages d'ordre éducatif avant que la fréquentation de Thomas Payne et William Godwin ne l'encourage à aborder le domaine politique. Ainsi en 1791 s'attaqua-t-elle à travers A Vindication of the Rights of Man aux vues conservatrices développées par Edmund Burke dans ses Reflections on the Revolution in France. A Vindication of the Rights of Woman suivit un an plus tard. 

Tête à tête (de la série Un mariage à la mode, 1743-45) –
William Hogarth (Source de l'image : Wikimedia Commons)

Au cours de cette période bouillonnante sur le plan intellectuel, Mary Wollstonecraft connut aussi envers le peintre suisse Henry Fuseli un premier amour malheureux. Le second fut pour Gilbert Imlay, un aventurier américain qu'elle rencontra à Paris où elle s'établit en décembre 1792 dans l'intention de prendre part à la Révolution à l'exemple d'autres de ses compatriotes. La relation entre Mary Wollstonecraft et Gilbert Imlay se révélera des plus houleuses. Le danger fera aussi partie de leur vie sous la Terreur instaurée au cours de l'année 1793. C'est dans cet environnement que Mary Wollstonecraft accouchera de sa première fille, Fanny, en 1794, avant son retour en Angleterre où sa détresse à l'égard de Gilbert Imlay la conduira à deux tentatives de suicide. 

Finalement, Mary Wollstonecraft se maria en 1797 avec William Godwin, mais leur bonheur (en vivant dans des résidences séparées) fut de courte durée. Mary Wollstonecraft mourut en effet quelques mois plus tard, à l'âge de 38 ans, après avoir mis au monde sa seconde fille, Mary, qui, sous le nom de Shelley, deviendra à son tour célèbre avec Frankenstein.

Comme nous l'avons déjà signalé, A Vindication of the Rights of Woman s'inscrivait à sa parution dans le débat britannique sur la Révolution française. Contre une société de privilèges dont elle dénonce l'injustice et les abus, Mary Wollstonecraft défend l'idée d'une société égalitaire aux citoyens éclairés par la raison et vertueux selon la religion – les deux s'impliquant en fait l'un l'autre pour un auteur restant attaché au christianisme.

Sur le point de l'égalité, Mary Wollstonecraft se félicite au début de son ouvrage des avancées produites en France par la Révolution. Toutefois, elle déplore que les femmes n'en profitent pas et soient maintenues dans un état de tutelle à cause de préjugés tenaces sur leurs déficiences physiques, intellectuelles et morales.

Pour Mary Wollstonecraft, si les femmes de son époque, du moins celles des milieux supérieurs visées d'abord dans ses réflexions, étaient frivoles et dépendantes des hommes aussi bien pour leur subsistance que pour leurs opinions, il ne fallait pas le mettre sur le compte de leur nature profonde, mais d'un véritable conditionnement visant à satisfaire le plaisir des hommes au détriment du développement de leurs autres facultés, non sans mettre de la sorte en péril, n'oublions pas le caractère religieux de la réflexion de Mary Wollstonecraft, le salut de leur âme.

Dans sa vision des sexes, Mary Wollstonecraft reconnaît une certaine prééminence aux hommes sur le plan physique. Elle serait prête à l'admettre aussi sur le plan moral. Cependant, elle juge que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas de toute façon à être établies en essence, mais seulement en degrés.

À cet égard, Mary Wollstonecraft envoie des volées de bois vert à tous les auteurs, notamment Jean-Jacques Rousseau, qui se sont complus à célébrer l'idéal de la femme-poupée faites pour délasser l'homme de ses activités supérieures. Elle dénonce franchement la possession sexuelle comme ce qui motive l’éducation bornée des femmes. Elle souligne du reste les conséquences perverses d'une telle fin puisqu'elle rend les femmes inaptes à faire face aux responsabilités domestiques et favorise, dans la vie d'un couple, l'infidélité.

Pour Mary Wollstonecraft, une union solide entre un homme et une femme passe par une évolution des sentiments amoureux vers ceux de l'amitié, c'est-à-dire une compréhension et une estime mutuelles possibles seulement si la femme a d'autres horizons que ceux de la séduction. Sur ce point, Mary Wollstonecraft célèbre les vertus de la chasteté. De manière générale, aux mœurs lâches offertes par les classes oisives à son époque, elle oppose celles, plus réglées et responsables, de la bourgeoisie active montante.

Ainsi, au lieu que la femme soit non seulement assujettie à l'homme, mais abêtie telle une enfant, Mary Wollstonecraft défend ses capacités intellectuelles et morales aussi bien pour devenir une véritable compagne qu'être en mesure de pourvoir elle-même à ses besoins – ainsi qu'à son salut.

C'est pour cela que Mary Wollstonecraft préconise le fait de donner aux femmes une éducation plus vaste et davantage d'opportunités d'emplois, par exemple dans le domaine de la santé, y compris comme médecins. En matière éducative, Mary Wollstonecraft, qui présente un programme général ambitieux typique des Lumières, croit les femmes capables de poursuivre les mêmes études que les hommes – elle prône même la mixité afin de favoriser le respect mutuel. De plus, parce que les femmes développeraient ainsi leur jugement, Mary Wollstonecraft estime qu'elles seraient de la sorte aptes à faire aussi entendre leur voix dans la vie politique. 

Sans revendiquer une égalité parfaite entre les hommes et les femmes, il n'en reste pas moins que, dans A Vindication of the Rights of Woman, Mary Wollstonecraft proclamait avec force et audace la dignité des femmes à tous les points de vue. À maints égards, son propos conserve hélas son acuité tant les vieux préjugés demeurent tapies au fond de nombre d'esprits...

10 octobre 2015 

Mary Wollstonecraft : A Vindication of the Right of Woman, 1792. 
(Traduction : Défense des droits de la femme, Petite bibliothèque Payot, 2005.)

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