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« Quitter le bal masqué… »

Renommée pour ses nouvelles, Katherine Mansfield a laissé aussi une abondante correspondance dont le dernier et mince recueil en français semble être paru en 1993 chez Stock. Sic transit mundi gloria.

Portrait de Katherine Mansfield (1918) – Anne Estelle Rice 

Les lettres sélectionnées s’étendent de 1915 à 1923, année de la mort, à 34 ans, de Katherine Mansfield qui était atteinte de tuberculose. La plupart proviennent des longs séjours qu'elle était contrainte de faire sur le continent (en Provence, sur la Riviera et en Suisse) pour respirer un air plus salubre qu’en Angleterre. 

Alors que la maladie et la solitude durant ses cures l’éprouvaient beaucoup, Katherine Mansfield ne s'y appesantit pas auprès de ses divers correspondants. Elle s'attache plutôt à partager avec eux ses impressions sur tout ce qui l'entoure, ses émerveillements devant les choses simples, les plantes en particulier, son plaisir à converser avec les gens ordinaires, etc., dans un « appétit » insatiable d'être. 

Katherine Mansfield fait part également de ses méditations sur le monde et du sentiment de beauté qu'elle retire en définitive de ses aspects contradictoires comme signe d'une vérité fondamentale dissimulée. 

« Il faut accepter la vie », proclame-t-elle en quelques occasions. Pour elle, c'est une condition à l’art auquel elle entend consacrer ce qui lui reste d'énergie avec une ambition d'authenticité et d'effacement de soi. Katherine Mansfield critique à cet égard la jeune scène littéraire anglaise de son époque, trop égocentrique à son sens. 

Croyant ou voulant croire que les progrès de la tuberculose pouvaient être stoppés, Katherine Mansfield laisse libre-cours à ses rêves de se retirer à la campagne, loin de la frénésie et des artifices de Londres – rêves chimériques a-t-on envie de dire. Au lieu de cela, elle devait mourir à Fontainebleau au sein d’une communauté théosophique (dirigée par le célèbre George Gurdjieff) où elle avait placé ses derniers espoirs d’amélioration de santé. 

Telles que choisies par les éditions Stock, les lettres de Katherine Mansfield révèlent un caractère optimiste et fort, radieux même, de façon un peu trompeuse toutefois. L'auteur du Vent souffle ! recelait ses facettes sombres, sa vie fut instable dès l'adolescence. Il n'en reste pas moins que la quête de paix intérieure et d'un art solide qu’il nous est offert de parcourir était profonde et belle. 

7 août 2014 

Katherine Mansfield : Lettres, coll. La bibliothèque cosmopolite, Stock, 1993.

Icôneries

Autant que je m'en souvienne, j'ai toujours su qui était Katherine Mansfield. Elle fait ou a fait du moins partie des auteurs britanniques les plus renommés en France avec Shakespeare, Dickens ou les sœurs Brontë. Elle l'a dû aussi bien pour son œuvre novatrice que pour son destin brisé comme en témoigne l'article suivant paru en 1958 dans L’Écho de la Mode.

Allo, je voudrais parler avec la vraie Katherine Mansfield, s'il vous plaît...


D'après mes recherches, le projet de film hollywoodien évoqué dans l’encart rouge ne fut jamais réalisé. Je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'en lamenter si je songe au fantasque Devotion sur les sœurs Brontë sorti sur les écrans en 1946. Je doute au surplus que l'auteur de l'article eût été capable de juger de son authenticité tant lui-même se révèle parcellaire et idéalisant – selon l'image que l'on s'était plu à se former de Katherine Mansfield après sa mort prématurée.

Cette image a augmenté le nombre de fantômes manquant de ressemblance qui hantent la littérature britannique (et qui auraient de quoi justifier à eux seuls l’instauration de la carte d’identité chez nos voisins). Nous avons déjà cité Shakespeare et les sœurs Brontë. Ne parlons pas (ou plutôt plus – cf. Kawaï !) de Jane Austen. Brtrr… Ces yeux globuleux… En comparaison, on peut certes juger moins dégradant pour Katherine Mansfield d'avoir été confondu avec un ange de lumière... 

8 avril 2015

Devenir « une enfant du soleil »

« J'achève un livre d'Elizabeth Robins, Come and Find me. C'est remarquablement intelligent ; elle me communique un tel sentiment de puissance ! Je comprends qu'à l'heure actuelle, j'accomplis, de manière approximative, l'exploit dont les femmes de l'avenir seront capables. Jusqu'à présent, en vérité, elles n'ont jamais eu leur chance. Notre époque éclairée, notre pays sans préjugés, parlons-en ! Ce sont les chaînes que nous avons forgées nous-mêmes qui nous entravent. Mais oui, à présent je vois bien que c'est à nous qui les avons forgées, et que c'est à nous seules de les arracher. (…) De l'indépendance, de la volonté, de la résolution, et puis du discernement, de la clarté intellectuelle, voilà ce qui est indispensable. »

Tel était le plan de vie que Katherine Mansfield consigna dans son journal quand elle avait 20 ans, peu avant de convaincre ses parents de quitter la Nouvelle-Zélande pour retourner en Angleterre où elle avait été mise en pension au milieu de l'adolescence.

 
En fait, le « journal » qui va nous occuper aujourd’hui est un recueil de notes intimes irrégulières, d'ébauches de nouvelles, de lettres non envoyées, etc., que le mari de Katherine Mansfield, John Middleton Murry (critique littéraire renommé en son temps), a constitué après la mort de celle-ci en 1923, à l'âge de 34 ans. L'ensemble est si discontinu que John Middleton Murry a ressenti le besoin de le ponctuer de récapitulations biographiques qui souffrent malheureusement elles-mêmes de lacunes. Il n'en reste pas moins que le « journal » de Katherine Mansfield fait partager quelques précieux moments de vie ou d'inspiration. 

Au début, il révèle une jeune fille à l'âme bouillonnante - bouillonnante d'écrire, d'aimer, d'embrasser le monde selon les préceptes d'Oscar Wilde et de Friedrich Nietzsche, qui étaient alors deux des auteurs favoris de Katherine Mansfield à une époque marquée par le matérialisme et la rigueur des mœurs. Le journal porte à cet égard les traces enflammées, au ton volontiers romanesque, des premières expériences de séduction et des premiers élans sentimentaux de Katherine Mansfield, en particulier envers une autre jeune fille de sa cité natale, Wellington.

En ce qui concerne l'écriture, Katherine Mansfield témoigne dès la première note du recueil du style impressionniste par lequel, bien des années plus tard, elle parviendra à rendre avec vivacité des souvenirs de son enfance en Nouvelle-Zélande. La longue relation d'un voyage entrepris dans le pays avec son père en est imprégnée de façon particulièrement intéressante. Ceux qui goûtent la poésie de Katherine Mansfield trouveront tout au long de son journal des petites pièces où elle fait suspendre et miroiter sa sensibilité aiguë aux détails.

Mais si l’œil et les moyens semblaient présents dès la fin de l'adolescence, ils mirent du temps à se « cristalliser ». Katherine Mansfield exprime de façon répétée ses incertitudes, voire ses difficultés mêmes à écrire. Que de fois ne se promet-elle pas de commencer à tenir régulièrement un journal, souvent au tournant d'une nouvelle année, avant d'y renoncer bientôt !

Pour reprendre le fil de son existence, marqué, comme nous l'avons déjà mentionné, par Oscar Wilde, elle ambitionna, une fois le tumulte de Londres retrouvé en 1908, de devenir une espèce de dandy au féminin. Toutefois, sa soif de vie intense devait lui faire connaître non seulement des frustrations et des déboires, mais aussi de véritables drames, ainsi sa fausse-couche en 1909 qu'elle évoque par une note au ton hallucinatoire terrible. 


Par la suite, en 1911, la situation de Katherine Mansfield s'éclairera quelque peu grâce à la parution bien accueillie de son premier recueil de nouvelles, Pension allemande, et sa rencontre avec John Middleton Murry même si leur relation devint rapidement instable. Elle le quittera à plusieurs reprises au fil des années, notamment en 1915 lorsqu'elle partit rejoindre Francis Carco mobilisé sur le front de l'est à l'occasion de la Première Guerre mondiale. Elle avait fait la connaissance de ce dernier l'année précédente à Paris. En Francis Carco, autre enfant du Pacifique (il était né en effet à Nouméa), Katherine Mansfield semble avoir nourri l'espoir de satisfaire son désir d'union fusionnelle. Mais, comme son Journal en délivre le récit détaillé, cette liaison, obsessionnelle dans la distance, se révéla en définitive des plus décevantes au moment des retrouvailles.

Revenue auprès de John Middleton Murry, Katherine Mansfield fera face au cours de la même année 1915 au drame de la mort de son frère Leslie sur les champs de bataille du continent. Son journal témoigne de la détresse profonde que lui causa cette disparition au point de perdre pied par instants avec le réel comme lors de sa fausse-couche de 1909. Elle n'en sortit qu'avec l'impression d’un appel de son frère à redonner vie aux souvenirs de leur jeunesse en Nouvelle-Zélande. C’est de cet appel érigé en « devoir sacré » que l’on devra la « prose spéciale » de Prélude et Sur la baie.  

Le journal laisse, hélas, sur sa faim quant aux réflexions littéraires que Katherine Mansfield nourrissait. « Pas de romans, d'histoires compliquées, rien qui ne soit simple et ouvert » tel est en tous les cas le programme qui y est fixé. Le lecteur découvrira aussi la source de certaines nouvelles, ainsi de Vie de maman Parker, inspirée par une cuisinière au service de Katherine Mansfield pendant un temps, ou Psychologie, inspirée par son amitié avec un homme avec lequel elle confesse avoir partagé des affinités rares, elle qui souffrait d'un certain sentiment de décalage, d'étrangeté vis-à-vis des autres depuis son enfance.

Mais tandis que son art « se cristallisait » (le journal comporte quelques ébauches intéressantes), il en était de même de la tuberculose dont Katherine Mansfield fut diagnostiquée en 1917.

De dès lors, le journal nous entraîne de Provence en Italie, d'Italie en Suisse où Katherine Mansfield chercha tour à tour, sinon la guérison, du moins une amélioration de sa santé. Outre à des souffrances physiques souvent extrêmes, Katherine Mansfield dut faire face à la solitude et au sentiment d'abandon par son mari même si on peut l'estimer à ce sujet oublieuse de sa propre attitude dans le passé...

D'un autre côté, si elle avait manqué jusque lors de discipline pour écrire, le mal se révéla un aiguillon puissant pour qu'elle y engage toutes ses forces restantes.

Cependant, contre tout espoir, elle ne pouvait s'empêcher d'espérer. Et après avoir voulu dans sa jeunesse prendre à bras le corps la vie, les mauvais coups lui firent aspirer à davantage de sérénité :
 
« À présent, Katherine, qu'entends-tu par la santé ? Et dans quel but la désires-tu ?

Réponse : –. Par la santé, je veux dire la capacité de mener une vie pleine, adulte, vivante, agissante, au contact étroit de ce que j'aime – la terre et ses merveilles – la mer – le soleil. De tout ce que nous voulons dire quand nous parlons du monde extérieur. Je veux y pénétrer, en être une part, y vivre, apprendre ce qu'il enseigne, perdre tout ce qui, en moi, est superficiel et acquis, devenir un être humain conscient et sincère. Je veux comprendre les autres en me comprenant moi-même. Je veux réaliser tout ce que je suis capable de devenir pour pouvoir être... (et ici je me suis arrêtée d'écrire, j'ai attendu, attendu encore mais inutilement – une seule expression dit ce qu'il faut dire) une enfant du soleil. »

Mais le crépuscule était déjà tombé.

10 janvier 2016

Katherine Mansfield : Journal, dernière édition, Folio, 1983.