Au vrai, The Kraken Wakes ne manquera pas d'évoquer justement la fameuse Guerre des mondes d’H.G. Wells en s’en départissant de façon fort intelligente.
The Kraken Wakes est d'abord intéressant quant à la forme donnée aux extraterrestres. Le plus souvent, dans les romans ou les films, si ces derniers possèdent une technologie plus avancée et une apparence effrayante, ils offrent somme toute une vague familiarité avec les êtres humains. On pourrait dire que c'est parce que ce genre d'extraterrestres, surtout dans les productions américaines, ne constituent au fond guère que des figures, ou plutôt des visages horrifiques de l'autre – qu'il soit noir, arabe, ou même blanc s'il est un cheminot français en grève – contemplé à travers les télescopes déformants de l'angoisse et du déni.
Dans son cas, John Wyndham a voulu imaginer une forme véritablement différente de vie intelligente. Ses envahisseurs font ainsi irruption comme des halos lumineux anormaux qui traversent le ciel pour plonger directement dans les profondeurs de la mer. En fait, ces phénomènes, que rien ne suit dans l'instant, laissent si perplexes les observateurs qu'ils n'envisagent pas qu'il pourrait s'agir d'êtres venus d'ailleurs.
Parmi les premiers témoins figurent le couple de journalistes britanniques formés par les Watson, l'époux narrant, à travers l'enquête frustrante menée avec sa femme, les événements de plus en plus inquiétants qui prennent (ou semblent prendre) leur origine au fond des abysses inaccessibles, événements qui ne suscitent guère de la part des pouvoirs politiques, économiques et médiatiques, que des réactions confuses, voire irresponsables puisque chacun se révèle enclin à privilégier ses intérêts immédiats.
Les Watson ne seront pas ceux dont le rôle sera décisif dans un roman de science-fiction qui s'inscrirait bien dans une certaine tradition britannique de l'anti-héroïsme (individuel) si l'on songe à 1984, au Meilleur des mondes, et à La Guerre des mondes pour le citer encore une fois. Ce couple offre aussi un accent progressiste pour l'époque puisqu'il entretient des rapports égalitaires fondés sur la discussion, l'entraide et la tendresse au lieu de voir un homme viril s'affirmer sur une femme émotive de façon stéréotypée.
Si au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la puissance britannique avait cédé devant la puissance américaine dans les affaires internationales, il n'est question de cette dernière que de manière lointaine, secondaire dans The Kraken Wakes. Face aux choses étranges en cours, le leadership se révèle en effet faire défaut aux Américains comme du reste, dans un contexte de Guerre froide, aux Soviétiques, John Wyndham renvoyant ainsi les uns et les autres à leurs déficiences.
Le roman offre de façon générale un spectacle peu à la gloire de l'humanité devant un péril mal identifié. Atermoiements, désunion, et dissimulation de la part des autorités nationales et internationales, sensationnalisme et manque de suivi de la part des médias, entretiennent au sein de la population une certaine inconscience de la gravité de la situation. Si un personnage comme celui du professeur Alastair Bocker tient un discours de vérité et de résolution, il n'est pas pris au sérieux.
Étant donné que « l'affaire de Munich » (l'accord de paix que les Français et les Britanniques signèrent avec le pouvoir nazi en 1938) est évoquée, peut-être un des buts de roman était que l'on s'en souvienne, de sorte que les extraterrestres déroutants de The Kraken Wakes seraient à considérer comme une figure de tout ce qui présente, à la façon du fascisme à son apparition, une menace nouvelle, requérant de la sorte une façon idoine de penser et de réagir.
À cet égard, The Kraken Wakes m'a troublé en ce qui concerne notre temps. Il m'a semblé y lire d'une certaine façon l'histoire du réchauffement climatique telle qu'elle s'est écrite depuis les années 70 : mêmes dénégations au début, mêmes hésitations ensuite à adopter des mesures fortes pour ne pas pénaliser l'économie, mêmes conséquences lentes à se manifester et dont on est tenté de s'accommoder bien que, en l'occurrence, l'humanité se trouve seule en question.
4 juin 2016
