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Perturbation

Si un documentaire récent (que je n'ai pas vu) sur John Wyndham (1903-1969) offre pour titre The Invisible Man of Science Fiction, dans les années 50, on considérait celui-ci de la trempe de l'auteur de The Invisible Man tout court, H.G. Wells. Pour ma part, après ma lecture de The Kraken Wakes, je trouve qu'un tel éloge n'était pas exagéré. 


Au vrai, à l'image de beaucoup d'autres œuvres de science-fiction jusqu'à aujourd'hui, The Kraken Wakes ne manquera pas d'évoquer une autre œuvre fameuse d'H.G. Wells : La Guerre des mondes. Toutefois, il s'en départit de façon si intelligente que l'on peut trouver à ce roman vieux maintenant de plusieurs décennies une portée toujours actuelle. 

The Kraken Wakes est d'abord intéressant quant à la forme donnée aux extraterrestres. Le plus souvent dans les romans ou les films, si les extraterrestres possèdent une technologie plus avancée et une apparence effrayante, ils offrent somme toute une vague familiarité avec les êtres humains. On pourrait dire que c'est parce que ce genre d'extraterrestres, surtout dans les productions américaines, ne constituent au fond guère que des figures, ou plutôt des visages horrifiques de l'autre – qu'il soit noir, arabe, ou même blanc s'il est un cheminot français en grève – contemplé à travers les télescopes déformants de l'angoisse et du déni.  

Dans son cas, John Wyndham a voulu imaginer une forme véritablement différente de vie intelligente. Ses envahisseurs font ainsi irruption comme des halos lumineux anormaux qui traversent le ciel pour plonger directement dans les profondeurs de la mer. En fait, ces phénomènes, que rien ne suit immédiatement, laissent si perplexes les observateurs qu'ils n'envisagent même pas qu'il pourrait s'agir d'extraterrestres.  

Parmi les premiers témoins figurent le couple de journalistes britanniques formés par les Watson, l'époux narrant, à travers le travail d'enquête frustrant mené avec sa femme, les événements de plus en plus inquiétants qui prennent (ou semblent prendre) leur origine au fond des abysses inaccessibles, événements qui ne suscitent guère de la part des pouvoirs politiques, économiques et médiatiques, que des réactions confuses, voire irresponsables puisque chacun se révèle enclin à privilégier ses intérêts immédiats. 

Comme leur nom l'annoncerait, les Watson ne seront pas ceux dont le rôle sera décisif dans un roman de science-fiction qui s'inscrirait bien dans une certaine tradition britannique de l'anti-héroïsme (individuel) si l'on songe à 1984, au Meilleur des mondes, et à La Guerre des mondes pour le citer encore une fois. Ce couple offre aussi un accent progressiste certain pour l'époque comme il entretient des rapports égalitaires fondés sur la discussion, l'entraide et la tendresse au lieu de voir un homme viril s'affirmer sur une femme émotive de façon stéréotypée.  

Si au sortir de la seconde guerre mondiale, la puissance britannique avait cédé devant la puissance américaine dans les affaires internationales, il n'est question de cette dernière que de manière lointaine, secondaire dans The Kraken Wakes. Face aux choses étranges en cours, le leadership se révèle en effet faire défaut aux Américains comme du reste, dans un contexte de Guerre froide, aux Soviétiques, John Wyndham renvoyant ainsi les uns et les autres à leur manque de bonne volonté et de responsabilité

De façon générale, le roman offre un spectacle peu à la gloire de l'humanité devant un péril mal identifié. Atermoiements, désunion, et dissimulation de la part des autorités nationales et internationales, sensationnalisme et manque de suivi de la part des médias, nourrissent au sein de la population un manque de conscience de la gravité de la situation. Si un personnage comme celui du professeur Alastair Bocker tient un discours de vérité et de résolution, il n'est pas pris au sérieux.  

Étant donné que « l'affaire de Munich » (l'accord de paix que les autorités françaises et britanniques signèrent avec le pouvoir nazi en 1938) est évoqué, peut-être un des buts de roman était que l'on s'en souvienne, de sorte que les extraterrestres déroutants de The Kraken Wakes seraient à considérer comme une figure de tout ce qui présente, à la façon du fascisme à son apparition, une menace nouvelle, requérant de la sorte une façon idoine de penser et de réagir.  

À cet égard, The Kraken Wakes m'a troublé en ce qui concerne notre temps. Il m'a semblé y lire d'une certaine façon l'histoire du réchauffement climatique telle qu'elle s'est écrite depuis les années 70 : mêmes dénégations que dans le roman au début, mêmes hésitations ensuite à adopter des mesures fortes pour ne pas pénaliser l'économie, mêmes conséquences lentes à se manifester et dont on est tenté de s'accommoder bien que, en l'occurrence, l'humanité se trouve seule en question. 

4 juin 2016