Ce projet ambitieux est porté par Sir Jack Pitman, un self-made-man ne manquant pas de sensibilité et de culture, mais brutal et mégalomane. Figure marginale au sein de la City où règnent les conseils d'administration, snobé par la haute société à laquelle il aimerait appartenir, personne ne peut cependant négliger son pouvoir, notamment au travers des organes de presse qu'il possède.
Sous la bannière du patriotisme, c'est à la manière d'un flibustier moderne que Sir Jack Pitman s'embarque vers l'île de Wight où doit être édifié son écomusée de l'anglicité. Un étrange équipage l'accompagne : un « attrapeur d'idées » chargé, tel un Boswell salarié, de recueillir toutes les pensées qu'exprime son patron ; un historien cynique, ancienne vedette de la télévision ; un maître d’œuvre docile, disant oui à tout ; enfin, celle qui sera surprise de découvrir que ce dernier est un bon père de famille, Martha, la personnal assistant de Sir Jack Pitman, espèce d'anti-Bridget Jones désenchantée à force de liaisons malheureuses.
Questionneuse et un peu rebelle, Martha incarnera le seul contrepoint (féminin) donné à la férocité de Sir Jack Pitman et à l'univers post-moderne, autrement dit matérialiste, égocentrique et irresponsable, de England, England. À cet égard, la construction d'un Disneyland célébrant l'Angleterre apparaît comme l'ultime acte du dépérissement moral et culturel du pays.
Cependant, si Martha aspire à davantage d'authenticité, cette notion même est interrogée par le roman. En effet, que peut-on tenir pour réel en fin de compte ? Le passé ? L'histoire s’offre comme une succession de représentations. La nature ? Sir Jack Pitman souligne l'inter-vention humaine partout. L'amour au moins ? Il faut se connaître soi-même selon Martha, mais il se peut, qu'au fond de soi, il n'y ait à trouver qu'incohérence.
La réalité serait de la sorte une chose qui se déroberait sans cesse, n'apparaissant que de façon fugace et souvent trompeuse. Et c'est pourquoi les hommes seraient mieux faits pour les illusions ou, tout au plus, pour les demi-vérités.
Dans England, England, Julian Barnes traite de ces questions sur un ton loufoque, voire bouffon comme son histoire prend au fil des pages un tour de plus en plus invraisemblable et désespéré, bien que, à travers Martha, l'émotion parvienne à percer parfois – riche et pauvre Angleterre...
8 mai 2015
Julian Barnes : England, England, Mercure de France, 2000.
(Éd. or. : 1998.)
(Crédit photo : Jean Ange)
