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Les statues de cire rêvent-elles de cottages en plâtre ?

Offrir une réplique miniature de l'Angleterre dans le cadre d'un parc de loisirs où de façon grandiose et vivante, par l'emploi d'acteurs, seraient rassemblés Robin des bois et la famille royale, Manchester United et Samuel Johnson, le pub et la falaise de Douvres, etc., tel est le projet dont Julian Barnes relate l'histoire dans England, England (1998). 


Ce projet ambitieux est porté par Sir Jack Pitman, un self-made man ne manquant pas de sensibilité et de culture, mais brutal et mégalomane. Figure marginale au sein de la City où règnent les conseils d'administrations, snobé par la haute société à laquelle il aimerait appartenir, personne ne peut cependant négliger son pouvoir, notamment au travers des organes de presse qu'il possède.

Sous la bannière du patriotisme, c'est à la manière d'un flibustier moderne que Sir Jack Pitman s'embarque vers l'île de Wight où doit être édifié son éco-musée de l'anglicité. L'accompagne un étrange équipage : un « attrapeur d'idées » chargé, tel un Boswell salarié, de recueillir toutes les pensées qu'exprime son patron ; un historien cynique, ancienne vedette de la télévision ; un maître d’œuvre docile, disant oui à tout ; enfin celle qui sera surprise de découvrir que ce dernier est un bon père de famille, Martha, la personnal assistant de Sir Jack Pitman, espèce d'anti-Bridget Jones désenchantée à force de liaisons malheureuses.

Personnage questionneur, à l'âme un peu rebelle, Martha représentera le seul contrepoint (féminin) donné à la férocité de Sir Jack Pitman et à l'univers post-moderne, autrement dit matérialiste, égocentrique et irresponsable, du roman. À cet égard, la construction d'un Disneyland célébrant l'Angleterre apparaît comme le dernier acte du dépérissement moral et culturel du pays.

Cependant, si Martha aspire à davantage d'authenticité, le roman interroge cette notion même. En effet, que peut-on tenir pour réel en fin de compte ? Le passé ? L'histoire se présente comme une succession de représentations. La nature ? Sir Jack Pitman souligne l'intervention humaine partout. L'amour au moins ? Il faut se connaître soi-même selon Martha, mais il se peut qu'au fond de soi, il n'y ait à trouver qu'incohérence.

Ainsi, la réalité serait une chose qui se déroberait sans cesse, n'apparaissant que de façon fugace et encore, souvent de façon trompeuse. Et c'est peut-être pourquoi les êtres humains seraient mieux faits pour les illusions ou, tout au plus, pour les demi-vérités. 

Dans England, England, Julian Barnes traite de ces questions de façon loufoque ou plutôt bouffonne comme le roman prend au fil des pages un tour de plus en plus invraisemblable et désespéré, bien que, à travers Martha, l'émotion parvienne à percer parfois – riche et pauvre Angleterre...

8 mai 2015
 (Crédit photo : Jean Ange)

Julian Barnes : England, England, Mercure de France, 2000.
(Édition originale : 1998.)