Portrait de D. M. Craik – Sir Hubert von Herkomer
Née à Stoke-on-Trent en 1826 et décédée dans le Kent en 1887, Dinah Maria Craik connut un succès notable de son vivant. Son roman le plus réputé est John Halifax, Gentleman qui a été adapté par la BBC en 1974. Épouse de l’éditeur George Lillie Craik, elle était appréciée au quotidien pour sa chaleur humaine que l’on peut certes ressentir dans Une mésalliance et Lord Erlistoun.
Ces deux courtes histoires mettent chacune en scène une femme faisant face à une épreuve morale.
Dans Une mésalliance, Madame Rochdale (reprenons le titre qui lui est donné en français) est une châtelaine vertueuse qui se réjouit du mariage futur de son fils, Samuel, avec la nièce d'un seigneur fortuné. Toutefois, des contretemps se présentent, contretemps au cours desquels Samuel tombe amoureux d'une fille de boulanger, Nancy Himes.
Cette situation choque tout le monde, y compris la narratrice de l'histoire, Martha, fille du régisseur de Madame Rochdale dont elle est devenue une proche. Mais si Martha a ses préjugés contre Nancy Himes, qui ne manque pas d'effronterie et de grossièreté, elle constate que celle-ci n'est pas « dépourvue de conscience et de droiture », ce qui frappe également Madame Rochdale dès leur première rencontre sans la rendre plus heureuse.
En résumant ainsi le début d'Une mésalliance, je crains de faire passer cette nouvelle pour une sorte de romance mielleuse alors qu’elle est marquée par la vraisemblance. Nancy Himes ne relève pas du type de la jeune fille pure, pas plus Samuel Rochdale du bellâtre romantique. Dinah Craik s'emploie à lutter contre les hiérarchisations sociales pour placer au-dessus la noblesse des vertus (et la volonté divine) d'une manière qui évoque Jane Austen et Anne Brontë.
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Au tour maintenant de Lord Erlistoun. Son héroïne, Jeanne (conservons encore son nom en français) est sans fortune (elle loge chez ses cousins négociants depuis la mort de ses parents) et ses fraîches années sont passées. Cela ne va pas empêcher un jeune Lord bon, mais oisif, de tomber amoureux d'elle et de prendre sa vie en main sous son inspiration. De son côté, flattée et sensible aux charmes de son soupirant, Jeanne préférera toutefois tenir en bride son cœur : se peut-il en effet qu'un homme à peine sorti de l’adolescence ne revienne pas de son enthousiasme pour une femme plus âgée ?
Comme celle d’Une Mésalliance, l'histoire de Lord Erlistoun est racontée par une personne de l’entourage du couple en vedette, en l’occurrence Marc qui est sur des charbons ardents comme il aime aussi Jeanne !
Marc, qui travaille dur dans l'entreprise paternelle, et Lord Erlistoun, qui se dédie au plaisir, sont opposés même si Dinah Craik ne fait pas du second une figure antipathique. Il se révèle en effet mieux disposé à la vertu que d'autres membres de sa classe s'agitant dans « la foire aux vanités ». De plus, il jouit d’avoir reçu une éducation raffinée – tenue pour un réel bien par Dinah Craik.
Grâce a ses parents, Jeanne a été pourvue également de ce bien à la différence de ses cousins dont la fortune est récente et dont les manières demeurent « plébéennes ». Toutefois, c'est dans ce vieux creuset que Jeanne puisera sa force pour faire face à un jeune homme qui, malgré toute sa culture et ses voyages, manque de maturité.
Roman moral, qui exalte les valeurs bourgeoises sous le signe de la religion, Lord Erlistoun n'est pas froid et empesé. L'amour y échappe à tout calcul :
« Il me faut de l'amour. (…) Le cœur de mon mari tout entier, ou rien. »
Un certain océanisme même (c'est-à-dire un sentiment de communion avec le monde et l'humanité) est exprimé en quelques occasions, donnant ainsi à Lord Erlistoun un caractère doux.
8 juin 2015
