Help, Ma'am'!

Voici quelques mots sur deux œuvres courtes de Dinah Maria Craik dont le nom même m'était inconnu jusqu'à ce que je le découvre au sein de la Bibliothèque électronique du Québec (sous son nom de jeune fille, Dinah Maria Mulock, dans des traductions du XIXe siècle). 

Portrait de D.M. Craik – Sir Hubert von Herkomer 
(Source de l'image : Wikimedia Commons)

Née à Stoke-on-Trent en 1826 et décédée dans le Kent en 1887, Dinah Maria Craik connut un succès notable de son vivant. Son roman le plus réputé est John Halifax, Gentleman qui a été adapté par la BBC en 1974. Épouse du grand éditeur George Lillie Craik, elle était appréciée dans la vie courante pour sa chaleur humaine, perceptible assurément dans Une mésalliance (nouvelle) et Lord Erlistoun (à ranger parmi les novelettes, ces courts romans du XIXe siècle se lisant d'une traite ?) qui mettent en scène chacun une femme faisant face à une épreuve morale.

Dans Une mésalliance, Madame Rochdale (reprenons le titre qui lui est donné en français) est une châtelaine aux grandes vertus très attachée à son fils, Samuel. Elle lui rêve un beau mariage qui finit par être décidé avec une belle et douce jeune fille, nièce d'un seigneur fortuné. Des contretemps se présentent cependant, pendant lesquels le fils tombe amoureux d'une fille de boulanger, Nancy Himes, situation qui choque Madame Rochdale comme toute la région. 

De même en est-il de la narratrice de l'histoire, Martha, fille du régisseur de Madame Rochdale dont elle est devenue une proche. Toutefois, si Martha possède des préjugés contre Nancy Himes, qui ne manque pas de d'effronterie et de grossièreté, il se révèle que celle-ci ne se trouve pas « dépourvue de conscience et de droiture », ce qui frappe également Madame Rochdale dès leur première rencontre sans guère la rendre plus heureuse pour autant. 

En résumant ainsi le début d'Une mésalliance, je crains de faire passer cette nouvelle pour une sorte de romance mielleuse alors que la situation et les personnages sont représentés avec vérité. Nancy Himes ne relève pas du type de la jeune fille pure, pas plus Samuel Rochdale du bellâtre romantique. Dinah Craik s'emploie à lutter contre les hiérarchisations sociales pour placer au-dessus la noblesse des vertus (et la volonté divine) d'une manière qui évoque Jane Austen et Anne Brontë. 

*  
 
Lord Erlistoun offre aussi la peinture d'une belle âme, celle de Jeanne (conservons encore son nom en français), sur la fin de sa jeunesse. Vivant chez des cousins fortunés depuis la mort de son père et de sa mère, elle voit un jeune Lord bon mais oisif tomber amoureux d'elle et prendre sa vie en main sous son inspiration. Mais si Jeanne éprouve aussi de l'attirance pour Lord Erlistoun, elle préfère ne pas laisser aller son cœur : se peut-il en effet qu'un homme si jeune ne revienne pas de son enthousiasme pour une femme presque mûre ? 

Toute l'histoire est racontée par le cousin de Jeanne, « Marc », sur les charbons ardents parce qu'il aime Jeanne aussi ! Marc, qui travaille dur dans l'entreprise de négoce paternelle, et Lord Erlistoun, qui mène une vie de plaisir, sont opposés même si Dinah Craik ne fait pas du second une figure antipathique comme il se révèle mieux disposée à la vertu que d'autres membres de sa classe s'agitant dans « la foire aux vanités ». De plus, son éducation raffinée, qui se reflète dans sa beauté physique, est tenue pour un réel bien. 

Jeanne possède aussi un tel avantage, à la différence de ses cousins qui, devenus riches par les efforts de son oncle ayant commencé dans la vie comme simple commis, conserve quelque peu des manières « plébéiennes ». Toutefois, c'est dans ce creuset que Jeanne puise sa force morale pour faire face aux problèmes posés par l'amour d'un jeune homme qui, malgré toute sa culture et ses voyages, demeure un « enfant » à guider sur le chemin de la vie... 

Roman moral, qui exalte les valeurs bourgeoises sous le signe de la religion, Lord Erlistoun n'est pas froid et empesé. L'amour y échappe à tout calcul : 

« Il me faut de l'amour. (…) Le cœur de mon mari tout entier, ou rien. » 

Un certain océanisme même (c'est-à-dire un sentiment de communion avec le monde et l'humanité) est exprimée en quelques occasions de manière vibrante. Ainsi le sentiment ne manque pas à Lord Erlistoun, ce qui fait de sa texture, non celle d'une toile sombre et épaisse, mais celle d'un coton clair et doux. 

8 juin 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire