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A Pleasant Land

Connu avant tout, du moins par chez nous, comme la figure de proue du mouvement Arts and Crafts, William Morris (1834-1896) s'illustra aussi dans le domaine littéraire et intellectuel. Révolté par les inégalités sociales et la dégradation de l'environnement causé par l'activité industrielle de son pays, il embrassa la cause socialiste comme son roman News from Nowhere - or, an Epoch of Rest, publié en 1890, en témoigne de façon utopique. 

“If I could but see it ! If I could but see it !” (« Si je pouvais voir ! Si je pouvais voir ! ») se marmonne à lui-même William Guest au sortir d'une soirée de discussion politique qui le laisse frustré de ne pas avoir su trouver les arguments pour se faire entendre des autres. &nbsp

Rentrant chez lui dégoûté par les rues poisseuses de Londres, l'occasion rare de contempler la lune grâce à un ciel dégagé l'apaise finalement quelque peu – sans qu'il se doute d'avoir affaire à un présage...

En effet, après une nuit agitée, il s'éveille dans la sensation d'une atmosphère plus chaude autour de lui, comme si c'était l'été et non plus l'hiver, avant de découvrir hors de chez lui un paysage à la fois familier et différent puisqu'il il se révèle plus bucolique. Perplexe, il apprendra bientôt que, par un tour mystérieux, s'il se trouve toujours bien à Londres, c'est en 2003 et que depuis l'époque d'où il vient, la ville et l'Angleterre toute entière ont profondément évolué.

Plus de smog, plus de taudis, plus de rues où les immeubles se pressent les uns contre les autres, mais des cottages baignant dans la verdure, des habitants beaux, robustes et aimables vaquant avec tranquillité à leurs affaires dans des costumes bariolés à la mode du XIVe siècle, voilà ce qui défile sous les yeux de notre homme du passé alors qu'il descend la Tamise sur un bateau dirigé par des avirons, puis comme passager d'un chariot tiré par un cheval.  

Plus de smog, plus de taudis parce que les usines et les machines elles-mêmes ont disparu (à l'image de Erewhon, la dystopie de Samuel Butler parue en 1872) comme tout travail contraint et salaire, la population pourvoyant à ses besoins selon des principes d'autogestion.

Ces besoins sont frugaux, le luxe a été banni et tout ce qui faisait une production de masse de médiocre ou mauvaise qualité a été remplacée par un artisanat dévoué à l'originalité et la beauté, les pierres précieuses n'étant plus utilisées que sous ce dernier rapport.  

De manière plus générale, c'est un retour à la campagne que les habitants de l'Angleterre future de News from Nowhere ont effectué, transformant un pays autrefois rongé par une urbanisation galopante et incontrôlée en une sorte de gigantesque cité-jardin dans un élan qui les virent même détruire purement et simplement les villes les plus sinistres de l'ère industrielle comme Manchester. 

Décentralisée, cette société n'a pas besoin non plus de gouvernement, la démocratie directe prévalant, ni encore d'école, jugée destructrice, ni enfin de prison selon l'idée que le remord naturel constitue un châtiment suffisant. Sur ce dernier point cependant, des soins spéciaux sont prévus pour les personnes les plus violentes – sans que William Morris ne se donne la peine de donner aucun détail à leur sujet comme en d'autres matières au vrai.

Par ailleurs, on peut noter que, si tous les membres de la société nouvelle sont censés vivre à l'aune de l'égalité la plus achevée, William Morris exalte la place au foyer des femmes d'une façon qu'on peut juger restrictive – même pour l'époque. 

On dira ainsi que c'est un « rough sketch »  plutôt qu'un plan d'architecte que dresse William Morris dans son News from Nowhere dont la nostalgie agraire peut faire résonner aux oreilles le chant émouvant d'un autre William, Blake celui-là, qui assista dans l'effroi aux débuts de l'élan ravageur de l'industrialisation à la fin du XVIIIe siècle. 

Au vrai, une allusion à Jerusalem serait faite au début du roman. Cependant, si William Blake invoquait dans ce poème l'apparition d'un ange juché sur « un chariot de feu » pour mettre à bas « les usines sataniques » à l'aide de ses « flèches du désir » et ainsi faire de l'Angleterre une contrée verdoyante et sainte, William Morris donna foi pour sa part au matérialisme dialectique pour en faire un pays de Cocagne athée.

Sous l'influence du marxisme et de la théorie selon laquelle l'avenir devait suivre un certain cours donné, William Morris relate (rétrospectivement) dans son ouvrage les épisodes qui ont vu le capitalisme britannique engendrer une situation tellement intenable que, malgré l'obtention pour les ouvriers d'avancées sociales, une grande révolution a fini par survenir.

Semblant quelque peu calqué sur la nôtre en 1789 avec son « Comity of Public Safety » et son jeune et brillant général à la solde du pouvoir évoquant Napoléon, ce récit peut amuser (quoique de façon terrifiante) quand on songe à la défiance profonde de nos voisins devant les actions politiques violentes – au souvenir justement de 1789 entre autres. Quoi qu'il en soit, il souffre lui aussi du fait que William Morris ne s'embarrasse pas de certains détails – notamment en ne tenant aucun compte de l'Empire britannique et des pays du continent et de leurs réactions éventuelles devant les évènements fantastiques censées mettre à feu et à sang l'Angleterre. 

Enfin, il n'en reste pas moins que la révolte de William Morris devant la condition sordide des ouvriers de son époque est on ne peut plus sincère et touchante et que nombre de ses vues étaient, voire demeurent, pertinentes. 

Toutefois, l'histoire ne s'est pas déroulée selon ses prédictions, et l'esprit de compromis, cher aux Britanniques, l'a emporté sous la forme du Welfare State au sortir de la seconde guerre mondiale avant que la crise industrielle ne frappe bientôt, hélas, le pays. La remise en cause du Welfare State au profit du libéralisme a été si forte depuis la fin des années 70 qu'on peut avoir l'impression que l'Angleterre a finalement retrouvé tous ses vieux démons victoriens. 

En tous les cas, Manchester n'a pas disparu, mais a été, comme d'autres anciennes grandes villes industrielles, « régénérée » selon le terme consacré, pour offrir maintenant sous un ciel clair de toute fumée d'usine, des bâtiments d'acier et de verre étincelants – peut-être en trompe l’œil toutefois. 

Une vidéo personnelle 

24 mars 2016