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Suivez le guide !


La Scène londonienne (The London Scene) recueille une série d’articles de Virginia Woolf publiés en 1931 et 1932 dans le magazine féminin Good Housekeeping. L'auteur d'Une chambre à soi y évoque les lieux connus et moins connus de la capitale britannique de manière ironique et des plus évocatrices.

Le programme des promenades débute par Les docks de Londres que nous remontons lentement sur les pas de notre auguste guide pour découvrir des étendues lugubres, celles des entrepôts et des quartiers ouvriers bâtis sans nul souci du paysage et de la beauté. Ce qui n’empêche pas pourtant cette dernière, telle une passagère clandestine, de « se faufiler » parfois dans des endroits inattendus comme à l'intérieur des vastes et obscures caves à vin au « décor d’une extraordinaire solennité ».

C’est dans le même esprit que nous nous voguerons ensuite sur La marée d' Oxford Street, une des grandes rues commerçantes de Londres où les marchandises brutes débarquées sur le port trouvent, après transformation en mille articles variés, leur destination. Aux yeux d’un « moraliste », relève notre guide, cette rue à l'architecture grandiloquente, hétéroclite, et fragile, peut apparaître futile et « vulgaire », mais on peut aussi la contempler comme un spectacle où « la découverte est stimulée, l’invention tenue en alerte ».


Après ces déambulations dans les théâtres et les coulisses de l’activité commerciale, si cruciale pour l’Empire britannique, Virginia Woolf nous entraîne sur les traces des morts illustres de la capitale.

Elle nous fait visiter d’abord des Maisons de grands hommes en s'amusant à les assimiler à des crânes : à trois étages et fort inconfortable au milieu du tumulte citadin pour celle du penseur sombre qu'était Thomas Carlyle, modeste et aéré dans la banlieue campagnarde pour celle du poète lyrique John Keats.

Si ces demeures sont à présent inhabitées et disposent à la rêverie, par contre, à Saint-Paul et Westminster, dans Abbayes et Cathédrale, Virginia Woolf nous invitera à contempler de vieilles statues « dressées au-dessus du flot inutile des vies moyennes » qu’elles n’entendent pas « laisser en paix ».


Et sans doute parce que le parlement britannique se trouve à proximité, le souvenir des morts glorieux nous poursuivra dans Voici la Chambre des Communes. Toutefois, maintenant que nous assistons à une séance de débats, Virginia Woolf constate que le temps des individualités marquantes semble être passé. Elle ne discerne guère, au sein de l’assemblée quelque peu « désinvolte » qui s'est réunie, de représentants distingués – sans trouver de quoi s'en plaindre au fond. L'anonymat du pouvoir marquerait en effet un progrès de la démocratie même si notre cicérone, au cours de notre passage dans les couloirs de l'auguste siège du pouvoir impérial, pointe le doigt vers des portes qui restent infranchissables à la curiosité publique.

Jusqu'à quand, telle est la question que pose notre enchanteresse des mots après nous avoir fait parcourir, à nous, visiteurs du passé, une capitale monumentale et effervescente. Sans doute est-ce pourquoi elle achève son propos par le Portrait d'une londonienne, alias feue Mrs. Crowe, et l'évocation de son ancien salon où, sous la forme de « commérages villageois », la vie dans une telle cité retrouvait quelque dimension humaine...

7 juillet 2014 

 Virginia Woolf : La Scène londonienne, coll. Enonciations, Bourgois, 2006.

PLM


Sous le titre Sur les inconvénients de ne pas parler français, les éditions L'Escampette ont eu l'idée intéressante de réunir, dans la masse des recensions d'ouvrages que Virginia Woolf effectua au cours de sa vie pour la presse, les quelques-unes liées à notre culture.

Pour la France, Virginia Woolf avait une admiration certaine : « Une civilisation formidable, plus formaliste, moins familière que la [sienne] », une langue « pétillante », et des auteurs « écrivant mieux », tels sont ses mots même si elle admettait que son regard et celui d'autres Anglais de son époque pouvait être celui de voyageurs tout disposés à s'émerveiller devant des découvertes nouvelles.

Les textes proposés sont courts (c'était dans leur nature), mais Virginia Woolf y fait beaucoup, alliant justesse et de l'analyse avec une certaine poésie à la manière de petits travaux de broderie finement exécutés.

Ou bien de parfaites anti-sèches à dissimuler dans la manche quand, à l'occasion de traductions, elle évoque avec un tel art certains de nos classiques comme Montaigne qu'elle loue d'abord comme maître de l'exploration de l'âme insaisissable dans ses mouvements contraires, ensuite comme maître de l'art de vivre en conséquence, c'est-à-dire librement, enfin comme maître pour communiquer toutes ces idées au lecteur.

En matière d'épanchement, Virginia Woolf exprima également tout son goût pour Madame de Sévigné qui, dans ses lettres, partageait tous les événements de sa vie de plaisirs placée sous l'enseigne d'un bon sens éminent où Virginia Woolf croyait voir la source de sa facilité d'écriture prodigieuse.

D'écrire d'un seul jet sûr, Stendhal dépensera plus tard beaucoup d'effort pour en être capable. Sa sécheresse pouvait certes vite « assoiffer » une sensibilité anglaise selon Virginia Woolf. Toutefois, par ses propriétés « acides », elle était ce qui avait permis à Stendhal de sonder les passions jusqu'à « [leurs] nerfs et [leurs] muscles ».

En ce qui concerne la littérature française de son époque, deux romans – seulement– firent l'objet d'une recension de la part de Virginia Woolf, Climats d'André Maurois [I] qui, à ses yeux, traitait de l'incommunication de façon « admirable » avec une « intelligence » et une « habilité » inexistantes en Angleterre, et Les Copains de Jules Romain qu'elle loua pour sa mise en scène réussie de la vie de groupe tout en déplorant par ailleurs des facilités décevantes...

Somme toute, Virginia Woolf consacra peu de ses compte-rendus aux productions de nos auteurs – sans nul doute par manque de disponibilité. Toutefois, au-delà de la littérature, elle évoqua la culture et l'histoire de notre pays à travers des ouvrages d'horizons divers, principalement quand ceux-ci traitaient de grandes personnalités féminines telles Sarah Bernhardt et Rachel dans le domaine du théâtre.

Si, comme le note l'auteur d'Entre les actes, les acteurs questionnent de façon fascinante sur leur personnalité réelle derrière toutes celles qu'ils jouent, Les Mémoires de Sarah Bernhardt permettait de découvrir un tempérament passionné qui avait eu tendance dès l'enfance à mettre en scène sa vie et à chercher l'attention de manière égocentrique. En revanche, le portrait de Rachel dépeint par Mr. Gribble dans sa biographie, celui d'une jeune fille d'origine humble qui sombra dans la « dépravation » à cause d'une célébrité mal supportée et d'une frustration à devoir vivre la vie d'autres personnes au détriment de la sienne, ne convainquit pas tout à fait Virginia Woolf. Pour elle, la détresse de Rachel tenait plutôt dans le sentiment de gâchis de ne pas avoir su ou pu profiter de l'opportunité de vivre plus intensément à travers ses rôles que si son sort était resté ordinaire.

Marie-Antoinette et Louise de la Vallière, maîtresse pendant un mois de Louis XIII avant de prendre le voile, suscitèrent également quelques pages de Virginia Woolf – que nous passerons – à la vitesse du TGV – par fatigue de résumer des résumés – écrire m'est si difficile – que l'on ne m'en veuille pas.

Nous ferons quand même un dernier petit effort, pour finir la liste de ces recensions autour de notre pays, au sujet du journal de Mme Waddington, Vie de château et vie champêtre en France. Dans son compte-rendu, Virginia Woolf fait, comme ailleurs, part de son sentiment que la France se caractérise par l'ordre : « Les villes sont très compactes et les bois eux-mêmes paraissent mieux définis qu'en Angleterre, comme si la nature avait du sang latin dans les veines. » 

Nous l'avons indiqué, pour autant que la recension est un exercice bref, Virginia Woolf y apportait pour sa part beaucoup de soin. À cet égard, dans un essai offert à la suite des textes rassemblés, elle déplore le caractère bâclé et contradictoire des compte-rendus de son époque sous les causes conjuguées du manque d'espace, de temps et de la prolifération des parutions tant et si bien qu'elle les jugeait en définitive inutiles.

Provocante, cette opinion n'était pas partagé par Leonard Woolf, époux de l'auteur de Mrs. Dalloway, lui aussi écrivain et éditeur (le couple dirigeait la Hogarth Press). Dans une ultime note que comporte De l'inconvénient de ne pas parler français, il défend les recensions pourvu qu'on ne leur demande pas autre chose que de présenter des ouvrages. De plus, il fallait considérer selon lui que, pour la plus grande part du public, elles constituaient les seuls moyens de s'informer des parutions. 

Histoire de mettre tout le monde d'accord, on peut considérer que Virginia Woolf montra qu'il était possible de faire de la recension un peu plus qu'une activité de présentation – ou de promotion (la lyre à dithyrambes si vaine, si vaine...) : intéresser tout simplement le lecteur à une œuvre de manière honnête, éclairée et sensible.

 *
 
Pour l'amusement, voici une recension au carré, enfin, hexagonale, des Hauts de Hurlevent à l'époque de Virginia Woolf. Non signée, cette recension provient de Romans-revue, organe d'obédience catholique, et se révèle aussi enlevée que sévère :

« De ce roman anglais, Wuthering Heights, il n'existait jusqu'ici qu'une traduction, d'ailleurs incomplète, publiée en 1892 sous ce titre, Un amant. Et l'âpre lieu où se passait tout le drame familial qui avait donné au roman son titre anglais avait été bien mal rendu, dans notre langue, par cette pauvre périphrase, les Hauteurs battues par le vent.

Au provincialisme anglais, voici au contraire qu'un nouveau traducteur oppose, avec beaucoup de bonheur, ce provincialisme français, qui fait à la fois penser aux Hauts-de-Meuse et à Perthes-les-Hurlus : Les Hauts de Hurle-Vent. A la bonne heure ! Voilà un nom qui situe une action :

Va donc pour Les Hauts de Hurle-Vent, d'Emily Brontë, traduit par Frédéric Delebecque.

On a prononcé, à propos de cet énorme roman de 450 longues pages in-8, en caractères fort étroits, les plus grands noms de la littérature universelle. Nous n'avons pas mieux demandé que de croire à quelque merveille...

Puis nous avons lu le livre, et nous avons été déçus.

Un immense et vague domaine, parmi le plus étrange et le plus romantique des paysages. Là une succession de drames, d'appétits, de gestes formidables, en dehors de toute intervention de la société organisée. Des revenants, des chambres hantées qui nous font penser à La Dame blanche ; des desseins infernaux ; un homme de la dernière classe qui, rejeté par la fille de ses maîtres, se fait aimer par sa cousine, l'enlève, mais la hait, la terrorise et s'en sert comme d'un gage contre le mari de l'autre ; un enfant qu'on dépossède impunément de tous ses droits... Quel imbroglio !

Concluons. Trop romanesque pour être mis absolument entre toutes les mains, trop terrible pour ne pas effaroucher de trop jeunes sensibilités, le livre peut être laissé à toutes les grandes personnes. Beaucoup n'en achèveront pas la lecture... »

20 juin 2015

Virginia Woolf : Sur l'inconvénient de ne pas parler français,
L'Escampette, 2014.

 
I : Anglophile, André Maurois était si apprécié de nos voisins qu'il eut l'honneur d'être l'auteur par laquelle s'est ouverte la collection Penguin – hé oui carrément !