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Exister et vivre

Inspiré par les théories anarchistes de Peter Kropotkin, The Soul of Man under Socialism (1891) est un court essai où Oscar Wilde entendait défendre le principe d'une collectivisation des biens effectuée dans le respect de chaque individu contre les projets plus autoritaires des tenants du communisme marxiste.

RETOUR VERS LE GRAND SOIR 

Oscar Wilde exprime d'abord dans son essai l'idéal qu'il avait de voir s'épanouir la personnalité originale de chacun à l'image des artistes, du moins quand ceux-ci jouissaient de moyens d'existence décents.

Pour assurer ces moyens à tous, l'esprit de charité tel qu'il régnait au XIXe siècle était à rejeter pour Oscar Wilde selon l'idée qu'il ne constituait que la redistribution partielle d'une spoliation maintenant chez les classes populaires un état de pauvreté et de servitude. À cet égard, seule la disparition pure et simple de la propriété privée était à prôner.

S'il partageait en cela les vues marxistes, Oscar Wilde se défiait cependant de la dictature du prolétariat :
 
“If there are Governments armed with economic power as they are now; if, in a word, we are to have Industrial Tyrannies, then the last state of man will be worse than the first.”

Pour Oscar Wilde, le respect de chaque individu devait et pouvait passer par une collectivisation des biens faite dans un esprit coopératif :  

“Property not merely has duties, but has so many duties that its possession to any large extent is a bore. (…) If property had simply pleasures, we could stand it. (…) In the interest of the rich we must get rid of it.”

La poursuite des richesses et des titres éloignant l'homme de sa nature profonde et l'exposant à l'insécurité, la collectivisation des biens était censée préserver de la sorte ce qui est essentiel en l'homme : ce qu'il est (ou peut devenir), la différence entre avoir et être équivalant à celle entre exister et vivre. 

Ne croyant pas aux promesses mirobolantes du « grand soir » faites par Karl Marx, Oscar Wilde trouvait par contre dans les enseignements de Jésus Christ une attitude anarchiste plus justement fondée :  
  
“The message of Christ to man was simply : “Be thyfelf." (…) When Jesus talks about the poor he simply means personalities. (…) He said to man, “You have a wonderful personality. Develop it. Be yourself. Don't imagine that your perfection lies in accumulating or possessing external things.(...) And try also to get rid of personal property. It involves sordid preoccupation, endless industry, continual wrong.” 
 
C'est pour cela qu'Oscar Wilde désirait que l'on n'opposât pas le riche et le pauvre, tous deux étant égaux face à la question de l'épanouissement, et que l'on s'abstînt de toute violence, de tout désir d'intrusion dans la vie et l'intériorité de quiconque.  

Oscar Wilde convoque aussi Jésus Christ pour s'attaquer à l'institution du mariage, autre forme de propriété selon lui. Son souci du respect de la personne est tel qu'il s'étend jusqu'aux criminels au sujet desquels il conteste le droit de punir :  

“One is absolutely sickened, not by the crimes that the wicked have commited, but by the punishments that the good have inflicted. (…) It obviously follows that the more punishment is inflicted the more crime is produced.(...) When there is no punishment at all, crime will either cease to exist, or, if it occurs, will be treated by physicians as a very distressing form of dementia, to be cured by care and kindness.”
 
Contre toute forme de gouvernement, le seul État valable pour Oscar Wilde était celui reposant sur la libre association et se bornant à assurer les moyens de subsistance grâce aux machines n'ayant fait jusque là qu'asservir la plus grande part des hommes :  

“The State is to make what is useful. The individual is to make what is beautiful.”

LA FORME SUPRÊME DE L'INDIVIDUALISME 

Dans son essai, Oscar Wilde consacre une large place à la question de l'art qu'il révère comme la forme suprême de l'individualisme à préserver de la sorte de tout diktat :  

“Whenever a community (…) or a government of any kind, attemps to dictate to the artist what he is to do, Art either entirely vanishes, or becomes stereotyped, or degenerates into a low and ignoble form of craft.”

Essayer de satisfaire le public est pour Oscar Wilde dégradant et appauvrit l'inspiration. Il juge les romans de son époque comme les productions les plus affectés (parce que les plus populaires) par les attentes d'un public chez qui de la sorte toute nouveauté, toute originalité, suscite d'abord le rejet. Sur ce point, Oscar Wilde ironise sur la manière dont le public se défendait de la nouveauté en puisant dans un petit registre épithètes,“immoral, inintelligible, unhealthy, morbid”, qui eut mieux convenu pour définir ses propres goûts :  

“The popular novel that the public call healthy is always a thoroughly unhealthy production, and what the public call an unhealthy novel is always a beautiful and healthy work of art.”

Oscar Wilde dénonce à cet égard l'influence néfaste que possédait à ses yeux la presse anglaise, quatrième pouvoir ayant fini par supplanter tous les autres par la brutalité de son attitude, notamment à l'égard de la vie privée. Une comparaison désavantageuse est du reste faite avec ce qui aurait prévalu dans notre pays :  

“In France, in fact, they limit the journalist, and allow the artist almost perfect freedom. Here we allow absolute freedom to the journalist, and entirely limit the artist. (…) We have the most serious journalist in the world, and the most indecent newspaper.”

D'autres disaient qu'un Anglais pris seul est la personne la plus honnête qui soit, pris en groupe, la plus malfaisante...  

Pour revenir à l'art, Oscar Wilde constate que le public ne pouvait en goûter les richesses que s'il se disposait tout simplement à être plus ouvert :  

“He is one who is admitted to contemplate the work of art, and, if, the work be fine, to forget in its contemplation and the egotism that mars him – the egotism of his ignorance, or the egotism of his informations.”

DE L'AVANT DANS LA JOIE !

“It will, of course, be said that such a scheme as is set forth here is quite unpractical, and goes against human nature. This is perfectly true (…) and this why it is worth carrying out, and that is why one proposes it. (…) A practical scheme is either a scheme that is already in existence, or a scheme that could be carried out under existing conditions. But it is exactly the existing conditions that one objects to. (…) The system that fail are those that rely on the permanency of human nature, and not on its growth and development.”

Oscar Wilde veut regarder du côté lumineux de l'être humain. Il ne s'agit pas de confondre l'individualisme avec l’égoïsme. L'individualisme favorise la tolérance et l'empathie, non seulement à l'endroit des douleurs de l'autre, mais aussi et surtout de ses joies. Et comment prendre part aux joies de quelqu'un si l'on ne désire pas que son épanouissement soit avant tout un bienfait pour lui-même ? 

Pour Oscar Wilde, la joie devait être l'aiguillon des changements en raison de sa conformité avec la nature contrairement à l'idée répandue voulant que cela fût la part de la souffrance et du sacrifice. Il rappelle que la Grèce Antique et la Renaissance avait la joie pour idéal même si elle ne pouvait concerner alors qu'un nombre limité de personnes dépendant, pour leur subsistance, de l'existence d'esclaves. Toutefois, les progrès technologiques accomplis devaient permettre de libérer enfin chaque membre de la société, quel qu'il fût... 

AVANCER UN PEU POUR PATINER SUR PLACE ? 

Que dire brièvement 120 ans après l'expression de telles idées ?  

Sous sa forme totalitaire, le socialisme n'a mené nulle part – Oscar Wilde fut bon voyant à son sujet. Sous sa forme libertaire, il est demeuré un mouvement marginal même si, peut-être, c'est en partie à l'anarchisme que l'on devrait d'avoir vu le respect et l'épanouissement de l'individu devenir des préoccupations majeures au sein des sociétés occidentales au cours du XXe siècle.  

En ce qui concerne cette évolution, il est patent toutefois que beaucoup de personnes, y compris parmi les artistes, l'homme étant un animal sociable, restent enclins à être captifs de l'image qu'ils veulent offrir aux autres. Hier, c'était dans une hypocrite respectabilité bourgeoise, entretenue par une culture toute faite, standardisée, de l'édification, aujourd'hui c'est dans un faux semblant de décontraction « moyenne » (j'entends en terme de classe sociale), entretenu par une culture toute faite, standardisée, de la sympathie et de la compassion. (I)  

Cette culture toute faite de la sympathie et de la compassion nous entoure peut-être d'une foule d'« individus », mais souvent anonymes en définitive – autrement dit d'une « foule solitaire » pour citer le titre du fameux essai de David Riesman paru en 1950. 

À cet égard, les critiques d'Oscar Wilde sur le conformisme de son époque conservent assurément (et malheureusement) leur acuité en dépit des apparences... 

28 mars 2015

I : Au vrai, il faudrait plutôt considérer que les deux attitudes sont mêlées et ont évolué ensemble depuis le XIXe siècle. Les Anglos-saxons en particulier demeurent des êtres avides de délivrer et recevoir, sinon des sermons, du moins des conseils (My One Hundred and One Tips to be a Deeply Stunning and Hearth-Breaking Person). Mais passons, sinon nous n'en allons plus en finir.

Rolling Stone

On pourrait peut-être considérer le XIXe siècle comme l'époque héroïque, épique de la modernité (occidentale) avec son esprit lancé comme un steamer dans la recherche de découvertes, d'inventions, de conquêtes et de systèmes – steamer au service d'une société où les disparités entre les riches et les pauvres étaient des plus marquées.

C'était l'époque aussi où, au retour d'une expédition géographique, militaire, intellectuelle ou artistique réussie, l'homme tenace et valeureux (plus rarement la femme remarquablement dévouée) recevait l'hommage de la nation (ou de sa petite ville natale) sous la forme de statues qui devaient aussi servir à édifier le passant dans la lutte pour la vie et la civilisation.

Lors, c'est en vain que le touriste cherchera, parmi toutes les statues des grandes gloires britanniques qui en sont venus à orner ainsi les quais de la Tamise à Londres, celle d'Oscar Wilde. Si une sculpture commémore quelque part sa mémoire, c'est sous la forme d'un tombeau monumental et perturbant au Père Lachaise à Paris que j'ai eu l'occasion de contempler il y a quelques années sans me douter de la répudiation nationale scellée, pour ainsi dire, par lui.

Pour ma part, j'ai découvert le destin tragique connu par l'auteur du Portrait de Dorian Gray à travers la biographie que Daniel Salvatore Schiffer lui a consacré récemment aux éditions de La Martinière : Oscar Wilde, splendeur et misère d'un dandy, ouvrage remarquable se présentant à la façon d'un album photo-littéraire d'un individu haut en couleurs et d'une époque certes pas rose. 


Comme j'espère le suggérer avec mon assemblage, c'est de façon particulièrement vivante et chatoyante que Daniel Salvatore Schiffer retrace l'existence d'Oscar Wilde, brillant et extraverti dès son enfance avant qu'il ne devienne, au sortir de ses années d'études à Oxford, une célébrité iconoclaste du monde de l'art – se plaisant par exemple à se promener une fleur de tournesol à la main dans les rues blafardes de Londres, centre d'un empire dévoué corps et âme à l'industrie et au commerce. 

Tiraillé entre la spiritualité et l'hédonisme, l'ascèse et la liberté, Oscar Wilde crut pouvoir concilier ces contraires sous l'égide de la beauté et du dandysme à l'image avant lui de Charles Baudelaire en France – Daniel Salvatore Schiffer souligne à cet égard l'attrait exercé par notre pays sur Oscar Wilde et ses liens avec quelques-unes de nos grandes personnalités littéraires à l'époque (Verlaine, Mallarmé, Gide, etc.).  

Contempteur des rigidités et de l'hypocrisie de la société victorienne, Oscar Wilde sut s'assurer toutefois autant le succès que les critiques à travers son sombre Portrait de Dorian Gray et surtout ses pièces malicieuses comme L'Importance d'être constant ou L’Éventail de Lady Windermere

Malheureusement, Oscar Wilde défiait aussi les mœurs de son époque dans sa vie privée par son homosexualité et, alors qu'elle était proscrite sévèrement par la loi, c'est elle qui devait le perdre subitement quand sa passion découverte pour un jeune et beau rejeton de la noblesse, Alfred Douglas, le vit devoir en répondre devant les tribunaux. 

Les documents offerts par Daniel Salvatore Schiffer montre toute la violence de ce que Oscar Wilde subit alors à travers un procès qui fit les gorges chaudes de la presse populaire, aussi bien en Angleterre qu'en France du reste, puis lors de son emprisonnement de deux années dans divers établissements dont certaines pratiques disciplinaires comme celle d'une immense roue à faire tourner du pied pendant des heures, peuvent laisser ahuris aujourd'hui. (Il semblerait qu'en Russie, on soit malheureusement toujours adepte de tels usages...)  

Cette roue que dut faire tourner Oscar Wilde de façon humiliante avant de finir sa vie dans la misère en France aurait de quoi être emblématique pour une société victorienne de la peine et de la résignation – dure, voire sans merci pour les plus faibles et les déviants.  

Ce n'est qu'en 1995 que les institutions britanniques ont fini par célébrer la mémoire d'Oscar lors d'une cérémonie tenue au sein de l'Eglise de Westminster (le Panthéon local) même s'il reste enterré chez nous – avec prudence a-t-on envie de plaisanter : l'Angleterre et Londres arborent peut-être aujourd'hui un air plus avenant et souriant que dans le passé, c'est toujours pour faire tourner avant tout les affaires...

22 juin 2016

 Daniel Salvatore Schiffer : Oscar Wilde, splendeur et misère d'un dandy, La Martinière, 2014.