Rolling Stone

On pourrait peut-être considérer le XIXe siècle comme l'époque héroïque, épique de la modernité (occidentale) avec son esprit lancé comme un steamer dans la recherche de découvertes, d'inventions, de conquêtes et de systèmes – steamer au service d'une société où les disparités entre les riches et les pauvres étaient des plus marquées.

C'était l'époque aussi où, au retour d'une expédition géographique, militaire, intellectuelle ou artistique réussie, l'homme tenace et valeureux (plus rarement la femme remarquablement dévouée) recevait l'hommage de la nation (ou de sa petite ville natale) sous la forme de statues qui devaient aussi servir à édifier le passant dans la lutte pour la vie et la civilisation.

Lors, c'est en vain que le touriste cherchera, parmi toutes les statues des grandes gloires britanniques qui en sont venus à orner ainsi les quais de la Tamise à Londres, celle d'Oscar Wilde. Si une sculpture commémore quelque part sa mémoire, c'est sous la forme d'un tombeau monumental et perturbant au Père Lachaise à Paris que j'ai eu l'occasion de contempler il y a quelques années sans me douter de la répudiation nationale scellée, pour ainsi dire, par lui.

Pour ma part, j'ai découvert le destin tragique connu par l'auteur du Portrait de Dorian Gray à travers la biographie que Daniel Salvatore Schiffer lui a consacré récemment aux éditions de La Martinière : Oscar Wilde, splendeur et misère d'un dandy, ouvrage remarquable se présentant à la façon d'un album photo-littéraire d'un individu haut en couleurs et d'une époque certes pas rose. 


Comme j'espère le suggérer avec mon assemblage, c'est de façon particulièrement vivante et chatoyante que Daniel Salvatore Schiffer retrace l'existence d'Oscar Wilde, brillant et extraverti dès son enfance avant qu'il ne devienne, au sortir de ses années d'études à Oxford, une célébrité iconoclaste du monde de l'art – se plaisant par exemple à se promener une fleur de tournesol à la main dans les rues blafardes de Londres, centre d'un empire dévoué corps et âme à l'industrie et au commerce. 

Tiraillé entre la spiritualité et l'hédonisme, l'ascèse et la liberté, Oscar Wilde crut pouvoir concilier ces contraires sous l'égide de la beauté et du dandysme à l'image avant lui de Charles Baudelaire en France – Daniel Salvatore Schiffer souligne à cet égard l'attrait exercé par notre pays sur Oscar Wilde et ses liens avec quelques-unes de nos grandes personnalités littéraires à l'époque (Verlaine, Mallarmé, Gide, etc.).  

Contempteur des rigidités et de l'hypocrisie de la société victorienne, Oscar Wilde sut s'assurer toutefois autant le succès que les critiques à travers son sombre Portrait de Dorian Gray et surtout ses pièces malicieuses comme L'Importance d'être constant ou L’Éventail de Lady Windermere

Malheureusement, Oscar Wilde défiait aussi les mœurs de son époque dans sa vie privée par son homosexualité et, alors qu'elle était proscrite sévèrement par la loi, c'est elle qui devait le perdre subitement quand sa passion découverte pour un jeune et beau rejeton de la noblesse, Alfred Douglas, le vit devoir en répondre devant les tribunaux. 

Les documents offerts par Daniel Salvatore Schiffer montre toute la violence de ce que Oscar Wilde subit alors à travers un procès qui fit les gorges chaudes de la presse populaire, aussi bien en Angleterre qu'en France du reste, puis lors de son emprisonnement de deux années dans divers établissements dont certaines pratiques disciplinaires comme celle d'une immense roue à faire tourner du pied pendant des heures, peuvent laisser ahuris aujourd'hui. (Il semblerait qu'en Russie, on soit malheureusement toujours adepte de tels usages...)  

Cette roue que dut faire tourner Oscar Wilde de façon humiliante avant de finir sa vie dans la misère en France aurait de quoi être emblématique pour une société victorienne de la peine et de la résignation – dure, voire sans merci pour les plus faibles et les déviants.  

Ce n'est qu'en 1995 que les institutions britanniques ont fini par célébrer la mémoire d'Oscar lors d'une cérémonie tenue au sein de l'Eglise de Westminster (le Panthéon local) même s'il reste enterré chez nous – avec prudence a-t-on envie de plaisanter : l'Angleterre et Londres arborent peut-être aujourd'hui un air plus avenant et souriant que dans le passé, c'est toujours pour faire tourner avant tout les affaires...

22 juin 2016

 Daniel Salvatore Schiffer : Oscar Wilde, splendeur et misère d'un dandy, La Martinière, 2014.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire