Toile d'araignée

Notre époque est marquée par le terrorisme d'origine islamique. Les fanatiques musulmans ne sont pas les premiers dans l'histoire a avoir recouru aux attentats pour faire avancer leur combat. Ainsi, en Europe, entre les années 60 et 90, de l'ETA en Espagne, de l'IRA au Royaume-Uni, de la Bande à Baader en Allemagne, des Brigades Rouges en Italie, etc. Plus loin dans le temps, on pourra citer encore les anarchistes auxquels Joseph Conrad consacra en 1907 un roman qui a conservé de la sorte une grande acuité jusqu'à nos jours : L'Agent secret


Cet agent secret, de second ordre, s'appelle Adolf Verloc. Officiant pour un État qui n'est jamais nommé (on peut supposer toutefois qu'il s'agit de l'Empire Russe ou de l'Empire Allemand), il vit depuis plusieurs années à Londres où il est infiltré dans les rangs anarchistes dont il est chargé de noter les faits et gestes. Mariée à une anglaise, Winnie, il tient avec elle un petit bazar douteux (on y trouve des photos « intéressantes » comme on disait à l'époque et des préservatifs) qui lui sert à la fois de couverture et de lieu de rendez-vous avec ses « amis » contestataires. Sans enfant, le couple abrite sous son toit la mère et le frère attardé de Winnie, Stevie. Au vrai, c'est pour eux que Winnie s'est résignée à se marier avec Verloc et qu'elle s'interdit d'être curieuse de ses activités dans un jeu de dupe mutuel.
  
Mais, alors que notre agent de renseignement mène une vie relativement douillette, voilà que lui est tout à coup confié une mission d'un nouveau genre, bien plus risqué : pousser ses « amis » à organiser un attentat sur le sol britannique comme la tolérance qui y est offerte aux anarchistes déplait aux autorités auxquelles Verloc obéit et qui pratiquent pour leur part la répression.

Homme sans loyauté, comme son patronyme mélangeant l'allemand et le français le souligne, Adolf Verloc éprouve le plus grand mécontentement devant l'ordre qu'il a reçu sous la menace d'être mis au rencart en cas d'échec, d'autant que ses « compagnons de lutte » sont de ceux qui parlent davantage qu'ils n'agissent. Joseph Conrad dresse en effet des portraits peu reluisants des anarchistes qu'il réduit à un ramassis de paresseux ayant trouvé dans la révolte radicale contre la société un refuge contre les responsabilités. Même celui, surnommé « le professeur », qui apparaît sérieux dans ses convictions n'est en fait habité que par un délire de toute puissance, délire cristallisée par la bombe qu'il porte toujours sur lui et qu'il est prêt à faire exploser à tout moment.  

Devant faire face à la solitude et à l'abîme de la vie fausse qu'il s'est construite, Verloc n'hésitera guère cependant à faire feu de tout bois pour mener à bien sa mission au cours d'une histoire où tout ira de travers, y compris au sein des autorités britanniques dont la froideur et le cynisme ne seront pas épargnés par la verve satirique de Joseph Conrad...

Sombre et poisseux, l'univers dépeint par celui-ci semble fonder sur l'idée de la corruption des êtres au simple contact des uns des autres. Même si quelques personnages porteurs d'innocence sont mis en scène comme la mère et le frère de Winnie, ce serait seulement pour les voir être victimes de ceux qui les entourent de façon d'autant plus désolante.

Pour ma part, L'Agent secret m'a évoqué de façon rétrospective les romans noirs qui ont commencé à apparaître dans les années 20 aux États-Unis avec leurs héros ambigus qui se retrouvent piégés dans des toiles d'araignée. Je ne sais s'il conviendrait de considérer l'oeuvre de Joseph Conrad comme un prototype du genre, mais reste qu'elle déboucha sur un nouvel insuccès commercial pour son auteur. Quand ça veut pas... 

12 août 2015

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