Armed with a Club

Au mois de février 2013, David Cameron a été le premier chef d'un gouvernement britannique à faire la visite du Temple d'Or à Amritsar, dans le Pendjab indien, près de cent ans après le massacre dont le lieu de culte sacré des sikhs fut la scène à l'occasion d'une manifestation pacifique contre les autorités impériales en 1919. Le feu ouvert alors par la troupe causa la mort de pas moins de 379 personnes.

Si, dans son discours officiel, David Cameron a qualifié cette tragédie de « profondément honteuse », il n'a toutefois pas exprimé d'excuses explicites au dam de beaucoup. Cela n'aurait pas été de façon générale en se battant autrement la coulpe (j'emploie le conditionnel comme je ne connais ce discours qu'à travers des articles de presse) qu'il aurait évoqué le passé colonial de son pays :  

« Je pense qu'il y a de quoi être très fier de ce que l'Empire britannique a réalisé. Mais, bien sûr, il y a eu des mauvaises choses aussi bien que des bonnes. »

Las, s'il fallait se fier à un roman comme Une histoire birmane de George Orwell (Burmese Days, 1934), les mauvaises choses auraient quand même été plus nombreuses que les bonnes – lesquelles auraient été dues avant tout aux mauvaises.


Caricature allemande de l'Empire britannique

Inspirée par l'expérience de George Orwell au sein de la police impériale dans les années vingt, Une histoire birmane se déroule dans une bourgade imaginaire, Kyautkada, où Flory, employé dans une entreprise de bois, se morfond, écœuré par la conduite de ses compatriotes racistes, violents, cupides et plus ou moins imbibés d'alcool tout au long de la journée.

Dans la moiteur et l'ennui de cette portion reculée de l'empire, Flory ne compte qu'un seul ami, le docteur Verasmani, d'origine indienne, même si son loyalisme servile à l'égard des autorités en place l'insupporte quelque peu.

Toutefois, cette amitié révèle ses limites du côté de Flory quand il pourrait aider Verasmani à se protéger de l'hostilié d'un haut fonctionnaire autochtone, U Po Kyin, en soutenant son admission au sein du club colonial de Kyautkada – droit nouveau accordé par le pouvoir impérial aux indigènes.

Flory n'entend pas le faire parce-que, d'une part, il a peur de se mettre à dos ses compatriotes qui préfèreraient rester entre eux :

« Dans chacune des villes de l'Inde, le Club européen est la citadelle spirituelle, le siège de la puissance anglaise, le nirvana où les fonctionnaires et les nababs indigènes rêvent en vain de pénétrer. »

D'autre part, Flory tient à préserver sa tranquillité vis-à-vis des indigènes en se conformant à la règle selon laquelle il faut éviter de se mêler à leurs disputes.

Comme on le voit, Flory n'est pas un héros, mais un homme miné par les contradictions et la solitude. Aucune illusion ne sera donnée sur son compte. Il en sera de même au sujet de la femme du roman, Elizabeth, jeune et belle orpheline débarquée de métropole la tête remplie de préjugés racistes – ce qui n'empêchera pas Flory de placer en elle tous ses espoirs de salut...

Par son ton crépusculaire, Une histoire birmane ne manquera pas d'évoquer au lecteur français le Voyage au bout de la nuit de Céline, paru deux ans auparavant, en 1932. George Orwell n'y épargne ni les colons ni les indigènes, notamment à travers le personnage corrompu et manipulateur de U Po Kyin. Avec celui-ci, on pourrait dire que le futur auteur de 1984 laissait présager les maux qui ont rongé les nations décolonisées depuis la Seconde Guerre mondiale.

Quant à la mémoire de l'empire telle que les Britanniques l'entretiennent, elle serait à tenir, d'après un spécialiste, pour « schizophrénique » comme l'exemplifierait l'attitude de David Cameron. Mais gardons-nous de jeter la pierre à nos orgueilleux voisins, car je ne suis pas sûr que la manière hexagonale de se flageller le dos sur le passé tout en continuant d'avoir un rôle aussi actif qu'obscur dans les affaires africaines puisse leur être donnée en modèle – soyons honnêtes pour tout le monde.

7 septembre 2014

George Orwell : Une Histoire birmane, 10/18, 2001.  
(Éd. or. : Burmese Days, 1934.) 

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