Les nouvelles recueillies dans Julia and the Bazooka ne font guère, hélas, que marquer des chutes récurrentes dans cette détresse enfantine profondément tapie. Faisant aussi le sujet de A Scarcity of Love en 1956, elle ne semble jamais avoir été surmontée par Anna Kavan à considérer son dernier roman Ice, paru en 1968 peu avant sa mort, vraisemblablement à cause de son addiction à la drogue.
Si celle-ci est absente des deux œuvres citées, elle occupe une place centrale dans Julia and the Bazooka, jetant ainsi pour moi un éclairage nouveau sur Anna Kavan et ses tourments. On pourrait trouver la première nouvelle du recueil, The Old Address, ironique sur ce point puisqu'elle voit la narratrice, à sa sortie de l'hôpital où elle a été sevrée, comme si elle en était sous les effets, l'apocalypse qui survient sous ses yeux :
“Wonderful! At last I'm being revenged on those who have persecuted me all my life.”
De la même manière que A Scarcity of Love et Ice, les petites histoires de Julia and the Bazooka plongent le lecteur dans des tourbillons où souvent vécu et imaginaire se mélangent pour créer un univers gothique ou fantastique.
Photo d'Anna Kavan dans sa jeunesse
Pour les héroïnes, ou plutôt les doubles d'Anne Kavan, les lieux où elles évoluent aussi bien que les personnes qu'elles fréquentent se présentent de façon indistincte et froide, étrangère et menaçante. Adolescente renvoyée d'un court de tennis pour une faute inexistante selon elle (Out and Away), jeune fille faisant un mariage d'abord prometteur avant de voir son époux changer sans raison apparente (Now and Then), ou femme mûre vaguement tentée par l'adultère (Experimental), aucune ne parvient à briser son sentiment d'être exclue du monde. Dans d'autres cas, ce sentiment est si fort qu'il peut engendrer l'angoisse de disparaître tout de bon dans l'obscurité (Among the Lost Things) ou la croyance d'être une personne d'une nature différente, un mutant (The Zebra-Struck).
On comprendra dès lors comment la drogue peut s'installer dans la vie de ces femmes. Certaines ont aussi pour échappatoire la voiture, de sport en particulier, qui leur donne l'illusion d'avoir seulement à traverser un monde hostile. L'une d'elles trouve même parmi les pilotes de courses un milieu où elle se plaît (A World of Heroes).
Passer, encore que, a-t-on envie de plaisanter, si les héroïnes d'Anna Kavan sont sous l'emprise de psychotropes, les autres usagers de la route, réduits à leurs yeux à des « masques et des marionnettes », risquent de les voir se précipiter rageusement sur eux (Fog, High in the Moutains).
Ce n'est pas pour rien qu'Anna Kavan surnommait sa seringue son « bazooka » comme cet instrument lui conférait un sentiment de contrôle et de puissance même s'il pouvait lui donner le désir de détruire un monde dont, depuis l'enfance, elle se « sentait couper », pour reprendre les mots de la nouvelle-titre du recueil : Julia and the Bazooka.
Dans celle-ci, une jeune fille meurt prématurément dans l'indifférence de son entourage et se retrouve inhumée dans un columbarium au-dessus d'une falaise. Je ne sais à quel moment de sa vie Anna Kavan a écrit cette histoire, mais on a l'impression que c'est véritablement une jeune fille incomprise et mal aimée qui l'a fait dans un carnet intime sans intention de le montrer à quiconque.
Le style d'Anna Kavan est marqué de façon générale par une simplicité juvénile, voire parfois enfantine, délibérément sans nul doute. Par lui-même, il traduit les occurrences où son auteur était envahi tout entier par sa vieille détresse...
Falling back, falling back – again and again...
23 juillet 2016
Anna Kavan : Julia and the Bazooka, Peter Owen, Londres, 1970.
(Pas de traduction connue.)

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