Départ impossible

Nous sommes dans le Wessex, au sud-ouest de l’Angleterre, au milieu du XIXe siècle. Un vendeur ambulant de craie rouge (pour marquer les moutons) transporte dans son chariot une jeune femme en détresse. Ils vont à travers le paysage dénudé et âpre de la lande. Alors que l’obscurité tombe, des feux de joie commémoratifs sont allumés ici et là. Un d’entre eux brille plus fort et plus longtemps. C’est celui d’Eustacia qui s’en sert, ni pour fêter la nuit des poudres ni pour reproduire un geste antique, mais à la façon d'un signal à destination de l'homme dont elle s’est éprise. 

Ce signal détourné et Eustacia, la jeune femme hautaine et solitaire aux rêves d'ailleurs qui l’entretient, vont agir, au sein d'une communauté fruste, comme un tourbillon funeste. Deux hommes en fait se laisseront happer et entraîner dedans sans qu’Eustacia n’y gagne rien en définitive : Wildeve, ancien ingénieur devenu tenancier d’auberge qui doit se marier avec la simple Thomasine, et Clym, cousin d'Eustacia, de retour au pays avec des projets philanthropiques après avoir fait fortune à Paris. 

Dans cette histoire sombre, Eustacia et ses deux amants se présentent comme des désaxés pour lesquels la vie ne semble pouvoir constituer qu’une course contrariée inlassablement, que cela soit à cause de leurs semblables, de leurs propres erreurs ou des contingences du monde s’il faut les appeler ainsi, car on peut avoir l’impression qu’une volonté supérieure préside avec dérision à de tels destins. 

En ce sens, le rôle qu'y joue « l’homme au rouge », Vern, dont la peau est tout imprégnée de la poussière de craie qu'il vend, est des plus troubles. Quoi qu'il en soit, cet autre personnage marginal décide d’installer sa roulotte dans la lande pour faire tout son possible afin de préserver l’avenir de Thomasine, la fiancée de Wildeve à laquelle il porte un amour pur. Tenace, rusé, toujours aux aguets et prompt à agir, il ne se révélera pas toutefois un chevalier blanc. Sans en avoir conscience, il ira peut-être – cela sera laissé dans l'équivoque – jusqu'à concourir à des drames qui le dépassent... 

Paru en 1878, Le Retour au pays natal (The Return of the Native) de Thomas Hardy est un roman tragique que l'on pourrait rapprocher des Hauts de Hurlevent (paru, lui, en 1848) d'Emily Brontë qui se déroule aussi au cœur d'une lande, dans le nord de l'Angleterre. Les styles sont différents, Thomas Hardy décrit davantage sa lande du sud, sauvage et hostile à l'exploitation humaine, sinon en ce qui concerne ses joncs, mais on trouve chez l'un et l'autre auteur une même ambiance d'enfermement pour des personnages excessifs et impuissants. 

14 août 2014

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