Vies oscillantes

Après avoir découvert avec Virginia Woolf La Scène londonienne telle qu'elle se présentait dans les années 30, je nous propose de faire un bond dans les années 80 en évoquant les Nouvelles de Londres (London Observed) de Doris Lessing. 

Si Virginia Woolf offre une vision du paysage, aussi bien urbain que symbolique, de la capitale du Royaume-Uni au faîte de sa puissance impériale, Doris Lessing nous fait aller à la rencontre de sa population après les années de décolonisation et de libération des mœurs intervenues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. 

Comme les deux époques sont séparées par une cinquantaine d'années, l'on trouvera dans les nouvelles de Doris Lessing quelques personnages âgés ayant connu la première et ayant la nostalgie de son caractère plus réglé, plus stable. Née elle-même en 1919, Doris Lessing ne partage pas un tel sentiment même si la nouvelle « scène » qu’elle nous invite à parcourir affiche souvent des contours incertains. 

Doris Lessing entraîne d’abord le lecteur dans les coins sombres de la capitale britannique à la suite d'une jeune fugueuse qui y fera une expérience sordide, mais découvrira aussi la liberté, laquelle la conduira peut-être ailleurs que vers une vie pavillonnaire et mesquine (Debbie et Julie). 

Après cette entrée en matière dans les bas-fonds, nous nous retrouverons dans une tour HLM aux côtés d'un travailleur social déstabilisé par un couple d'immigrés qui traite leur fillette attardée normalement comme si elle n'en était pas une. (La mère et la fille en question). 

Ayant afflué des anciennes colonies, les immigrés ont assurément enrichi et bigarré une ville jadis « gris-rose ». Malheureusement, leur présence n'est pas acceptée par tous au point parfois de susciter la violence (Plaidoyer pour le métro). 

De leur côté, les plus pauvres font face à la politique du « démerdez-vous » telle qu'elle fut conduite par Margaret Thatcher (D.H.H.S) dans les années 80. Doris Lessing évoque aussi cette dernière dans Elle, cette fois pour constater que, si les femmes ont accédé au pouvoir, les préjugés à leur égard demeurent tenaces. 

Il n'en reste pas moins que les mœurs ont changé comme le montrent, à l’aéroport, deux jeunes femmes qui bavardent cyniquement de leurs diverses relations sexuelles (L’amour en 1988). Toutefois, si un mariage n’est plus destiné à durer une vie, le fait de voir d’anciens époux conserver des rapports étroits peut se révéler perturbant pour leurs nouveaux compagnons (Compromis). 

La question de l’adaptation, et avec elle de l’identité, est abordée de façon plus dramatique et peut-être intemporelle dans Le puits, longue nouvelle sur une rescapée des camps de concentration. 

Comme ces quelques lignes le suggèrent, Doris Lessing observe une ville qui est loin de présenter un panorama idyllique. Pour autant, tout le long de son recueil, elle exprime un attachement profond pour Londres en raison de « sa variété, ses populations du monde entier, son caractère éphémère ». À quoi pourrait-on ajouter, pour finir, ses parcs et ses animaux qui participent également à la vie de ses habitants. Ainsi de l’oisillon timide et hésitant des Moineaux qui attendrit un père mécontent de sa fille... 

20 juillet 2014 

Doris Lessing : Nouvelles de Londres, 1997, Albin Michel. 
(Éd. or. : London Observed, 1992.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire